"Ad Augusta per Angusta" *

Norbert CASTERET

Spéléologue français (1897 - 1987)

Norbert CASTERET a surtout exploré les sites spéléologiques des Pyrénées. Il a reconnu la source de la Garonne, dans la Maladeta (1931), et exploré des abîmes profonds : gouffre Martel (Ariège) en 1935, la Henne-Morte en 1947, la Pierre-Saint-Martin en 1952 et 1953...

Cette citation du dictionnaire Larousse est évidemment très incomplète. En réalité, la carrière de ce grand explorateur, aventurier et aventureux, couvre une période d'une cinquantaine d'années: de 1920 à 1970 environ.

* "vers de grandes choses par des voies étroites" (devise de Norbert CASTERET)

Le montagnard

Introduction de Gilberte CASTERET

Les CASTERET, cela se sait, étaient des marcheurs infatigables. Lors de leurs randonnées en montagne, après une journée entière de marche, une fois repéré leur lieu de bivouac et s'y être installés, ils s'offraient, comme une récompense, l'escalade du sommet le plus proche !

Notre grand-mère CASTERET, née en Gâtinais en 1873, et donc peu habituée au milieu montagnard, s'était mise à la montagne à l'âge de 51 ans ; et quoique revendiquant toujours sa place à l'arrière-garde, elle suivait fort bien le train de la caravane. C'est donc sans difficulté qu'elle suivit Norbert pour cette ascension nocturne au Pic du Midi.

Norbert et son frère Martial, grands sportifs comme l'on sait, avaient de curieuses pratiques en matière de nutrition : ils se nourrissaient le moins possible, croyant peut être ainsi dominer leurs corps trop exigeants. Notre mère eut vite fait de corriger ces théories fantaisistes, et tout en restant très frugal, notre quatuor accéda à des méthodes plus rationnelles.

Le séjour de 18 jours de Norbert CASTERET au Pic du Midi se fit à la demande de Mr. DAUZERE, alors directeur de l'Observatoire, qui eut un jour à faire face à deux observateurs, sans doute fatigués de leur vie monotone, et qui avaient pris la décision impromptue de partir en vacances.

Papa fut enchanté de cette occasion de séjourner en altitude, mais au début, il eut un problème avec le cuisinier : au premier repas, celui-ci lui servit un plat de fonds d'artichauts. Au deuxième repas, même chose. Et au troisième repas, voyant encore le même plat, Papa demanda :

- « Vous en avez encore beaucoup ? »

- « Vous ne les aimez pas ? »

- « Si, mais tout de même, pas à chaque repas ! »

Le cuisinier lui expliqua que par suite d'une erreur, on avait livré au Pic une quantité non négligeable de ces légumes en conserve. Les observateurs absents en avaient eu par-dessus la tête, et, paraît-il, les lui lançaient à la figure quand il apparaissait avec son plat ! Norbert CASTERET fut bon prince, et il fut convenu qu'il en mangerait à un repas sur deux...

Tous ces récits ont bercé notre enfance. Rien ne nous étonnait, venant de la part de nos parents, pas plus les acrobaties de notre père, qui mit à profit son séjour au Pic pour escalader à peu-près tous les jours le pylône de la TSF, que le fait de le voir faire des sauts périlleux jusqu'à l'âge de 73 ans, où il en fit une démonstration éclatante devant ses petits-enfants médusés.

Et je terminerai en me posant (une fois de plus), cette question : comment ne pas être fier d'avoir eu des parents pareils ?

Gilberte CASTERET

Norbert CASTERET au sommet du pylône du Pic du Midi

Ascension et séjours de Norbert CASTERET au Pic du Midi de Bigorre

11 – 12 Octobre 1927 (2ème ascension)

Départ de Saint-Gaudens, avec Maman, le 11 Octobre à 8 h. Gripp à 14 h 30. A pied jusqu'à Artigues, sacs au dos et piolets. Repos au bord du lac artificiel. Quelques cars pyrénéens grimpent le Tourmalet.

A 16 h, le soleil disparaît ; temps idéal, mais température froide à l'ombre. Nous gagnons notre chambre, au premier étage de la gare désaffectée, qui est maintenant l'Hôtel Terminus. Repos, habillés, sur le lit. 18 h, très bon dîner (14 francs par tête, sans vin). Au lit, habillés, de 19 h jusqu'à minuit.

A 0 h exactement, nous commençons l'ascension, sous un clair de lune remarquable. Dépôt de l'Observatoire, cabanes de Tramezaygues, Pont d' Arize, à 0 h 50. Halte horaire un peu plus loin. Clair de lune splendide, température idéale, nuit Russellienne. Levers d'Orion et de Sirius ; lune de Jupiter au zénith. Vue du Pic au clair de lune. En atteignant la Pierre Fendue, à hauteur du corral, et en approchant des gorges de Sencours, mal de dents (cachet et emmitouflement). Malgré cet incident, l'ascension se poursuit, magique et sans fatigue. Traversée des gorges sauvages de Sencours, dans un silence impressionnant. Le versant Nord est tigré de neige, qui brille sous la lune.

A 3 h, lacets de la sortie des gorges. Lever de Vénus, rougeâtre et énorme, à l'Est (Vénus atteint son maximum de grandeur cette nuit). A 3 h 30 col de Sencours, halte casse-croûte (pour Maman), en vue de l'hôtellerie, et près d'une plaque de marbre blanc, scellée sur un rocher. Au clair de lune, nous lisons : « Léon DUFOUR, naturaliste, a fait sa dernière ascension au Pic du Midi, le 8 Août 1884, à l'âge de 83 ans ».

Le dôme de la coupole est très visible. Commencement des lacets. Peu à peu on découvre le lac d'Oncet, qui miroite sous la lune. Au col du Laquet, échappée sur la plaine, vues les lumières de Bagnères et de Tarbes.

A 5 h 10 exactement, sommet. Tout l'horizon, à l'Est est barré d'une ligne rouge intense, mais il fait encore nuit. La lune descend à l'Occident. Jupiter est déjà couché. Vénus est montée et brille d'une lumière blanche, éclatante. Froid.

A 5 h 25 les ombres projetées par la lune sont encore supérieures à celles fournies par la lueur crépusculaire. Malgré cela il fait beaucoup plus clair à l'Est, et les montagnes sont plus éclairées du côté du Levant. Le froid s'intensifie, il gèle assez fort. Les lumières de la plaine pâlissent. Le lac de Lourdes apparaît ; des brumes marquent les fonds de vallées, et, semble-t-il, les agglomérations. La barre rouge, à l'Orient, s'illumine et s'élargit, l'ombre de la terre monte. Le soleil va apparaître vers le Mauberme ou le Crabère, qui se silhouettent à l'horizon. Tous les pics sont déjà reconnaissables. Les observateurs circulent et s'affairent sur les terrasses de l'Observatoire.

A 6 h 15, lever du soleil, apothéose. Aussitôt, l'ombre du Pic se projette sur des brumes très lointaines, puis l'ombre se raccourcit et se voit nettement. La silhouette du Pic est telle, par rapport au soleil, que l'ombre est aussi régulière que s'il s'agissait de l'ombre d'un cône gigantesque. Une remarque : l'ombre du Pic est beaucoup plus foncée que les ombres des autres montagnes ! Froid de plus en plus vif. Nos provisions : pain, confiture, fromage, sont gelées. Vue illimitée. Montagne Noire visible. A l'œil nu on identifie : Montréjeau, Saint-Gaudens, Montpezat, Roquefort. Tour d'horizon à la table d'orientation de Schrader.

A 8 h, nous descendons à l'Observatoire pour visite. Je me présente au directeur, Mr. DAUZERE, qui me reconnaît et me reçoit chaleureusement (café !). Présentation à Madame DAUZERE. Visite très intéressante et complète de l'Observatoire. Présentation à Mr. ROUGIER, astronome à Strasbourg, et à Mr. HUGON, de Toulouse. Chambres, coupole, sous-sols, machinerie, chambre des accumulateurs, souterrain, cuisine, provisions, blockhaus, terrasse et...jardin d'essais. Vu à la lunette (grossissement 15) des traces d'une caravane à la Brèche de Roland.

A 11 h25, congé. A 12 h 25, après avoir croisé les caravanes de mulets de ravitaillement, nous déjeunons au bord du lac d'Oncet, au-dessus de la route en construction.

A 14 h 35, nous rejoignons la route du Tourmalet, à 3 km en amont de Barèges, après avoir « navigué » un peu dans les pâturages escarpés, où un mauvais petit sentier nous avait fourvoyés. Marche interminable jusqu'à Luz, sur la route pittoresque qui traverse Barèges, et maintes fois le Bastan.

Luz à 16 h 45 (café). Départ du tram pour Pierrefite à 17 h 15. Saint-Gaudens 21h, toujours très beau temps.

Rentrés au clair de lune à Mourlon.

27 – 30 Décembre 1928 Pic du Midi à ski

Jeudi 27 Décembre. Avec Martial, départ de Saint-Gaudens. Arrivée à Bagnères à 10 h 30. Temps beau, visibilité parfaite. Nous allons aussitôt chez Mr. DAUZERE, qui nous donne toutes les indications pour l'ascension (les porteurs sont justement en train de gravir le Pic), nous fait l'honneur de visiter l'Observatoire, et nous retient à déjeuner.

A 15H 40, nous prenons congé de Monsieur et Madame DAUZERE, et le tram nous dépose à Gripp à la nuit. La neige est tombée ici il y a une semaine, et il en reste encore. Avant l'excellent dîner que va nous servir Madame BRAU (10 fr.), nous nous promenons sur la route glacée. A 19h 30, les trois porteurs arrivent, ils n'ont mis que 2h ¾ pour descendre de l'Observatoire.

A 21h nous sommes au lit, et à minuit je sonne le réveil.

Vendredi 28 Décembre. A minuit 45, nous quittons l'auberge de BRAU, par un clair de lune splendide. Nous marchons d'une traite jusqu'à Artigues, où nous chaussons les skis, enlevons chandails, gilets et vestes, tant il fait doux, et mangeons une boite de pilchards. Il est 2h. Par neige bonne, et clarté suffisante, quoique la lune soit voilée, nous passons devant les cabanes de Tramezaygues, ensevelies sous la neige ; les traces des porteurs nous montrent la bonne voie, qui consiste à passer à droite du mamelon d'Arize, pour éviter le défilé dangereux de l'Adour d'Arize. Nous arrivons facilement au pont, où nous perdons la trace, et l'ascension commence. Le sentier est souvent indiscernable, mais mes souvenirs de l'ascension nocturne du 11 Octobre 1927 y suppléent, et nous arrivons sans encombre à la Roche Fendue, à 3h du matin. La lune se cache toujours dans les nuages qui roulent de l'Ouest, et envahissent tout le ciel. Malgré cela la visibilité est suffisante, et la température extraordinairement douce pour la saison ; nous avons chaud ! Il faut boire. Nous retrouvons ici la trace des porteurs, qui sont passés par le fond d'Arize, mais nous la perdons aussitôt. On s'élève dans les gorges de Sencours ; les skis nous rendent de grands services. A moitié gorges, un ressaut nous retarde et nous fatigue. Ici le vent se fait sentir, il faut se couvrir. Au point du jour, nous atteignons le haut des gorges, et passons le col. Enfin, nous voyons l'hôtellerie, enfouie sous la neige, le câble et l'Observatoire.

A 8h, j'atteins le premier poteau du câble, où nous attendent les crampons. Martial lutte depuis la Roche Fendue, avec un essoufflement pénible et tenace. Nous quittons les skis, que nous plantons dans la neige, attachés au poteau (mes bâtons m'échappent et glissent jusqu'en bas), et nous chaussons les crampons, qui vont nous être utiles dans la neige dure. A mesure qu'on s'élève, le vent est de plus en plus violent et froid. Aux « Rochers Noirs », HUGON vient à notre rencontre, et nous offre du thé chaud. Tous trois, nous montons de conserve la rude pente, et nous prenons enfin pied sur la terrasse de l'Observatoire, et sans nous arrêter, nous allons au sommet du Pic, pour jouir du coup d'œil, car le temps va se gâter.

A 9h45, nous sommes au sommet (8h depuis Grip). Le temps se couvre, et nous voyons disparaître rapidement le Balaïtous, le Vignemale et Gavarnie, mais sur la plaine, la visibilité est exceptionnelle, on voit à l'œil nu la Montagne Noire, et même le sommet de l'Espinouze, dans les Cévennes, à 250 km. Nous rentrons à l'Observatoire, où nous faisons la connaissance de DASTUGUE et PUYO ; puis, sous la conduite de DASTUGUE, nous visitons tout l'Observatoire. Déjeuner : potage vermicelle, pommes de terre et choux bouillis, beefsteaks, fromage, beurre, confiture, café, cigares (pain du Pic), vin.

Jusqu'à 17h, le brouillard règne, puis se lève un peu, nous permettant de faire une sortie sur la terrasse. On se tient au bureau. Dîner : potage vermicelle, filets de sardines, petits pois et viande, pommes de terre à la paysanne, dessert. A la nuit, nous allons au blockhaus ; la lune éclaire la chaine enneigée. Vu les lumières de Bagnères, Tarbes, Tournay, Lannemezan, Montréjeau et Saint-Gaudens... Température : -10. Martial couche dans une chambre du couloir principal, moi dans celle de Monsieur DEVAUX. Avant de me coucher, je me mets à la fenêtre, et je scrute la nuit claire. Je songe qu'il y a de longues années que je désirais coucher au Pic...

Samedi 29 Décembre. A 6h du matin, je me lève rapidement pour voir la fin de la nuit et le lever de soleil depuis la terrasse. Je traverse le couloir où tout dort encore, et je sors par l'escalier du poulailler. Le vent d'Ouest est toujours violent et glacé, la nuit s'achève, la lune pâlit, et à l'Ouest, on voit déjà un liséré rouge. J'erre sur la terrasse, d'un bord à l'autre, comme sur un navire. De temps en temps, je m'abrite de la violence du vent derrière un bâtiment, ou dans le blockhaus, près duquel le thermomètre marque un minimum nocturne de –10°.

A 7h je vais réveiller Martial, et à 7h30 nous assistons à un beau lever de soleil. La plaine est cachée sous une mer de nuages livides. Le cylindre du Marboré est le premier pic frappé par l'Alpenglün. Le sommet du Pic du Midi montre aux premiers rayons du soleil, une belle couleur mauve. Nous rentrons pour déjeuner, et ressortons aussitôt pour faire une séance de photographies, au cours de laquelle nous montons jusqu'au sommet du Pic. Nous assistons aux évolutions d'un aigle, de corneilles et de pinsons des neiges qui fréquentent les abords de l'Observatoire. Le brouillard vient noyer toutes choses, et interrompre notre séance.

A 11h nous déjeunons, et à midi 30, nous prenons congé du personnel, et commençons la descente du câble, en crampons. Au fond du câble, nous laissons les crampons, et reprenant les skis, nous commençons une descente qui n'est qu'une série de « bûches grotesques ». Est-ce le manque d'entrainement, ou l'état de la neige ? Mais nous sommes constamment à nous relever ! A moitié gorges, Martial fait une mauvaise chute sur un bloc de glace, et dès lors, il se traîne. Je prends les devants, et arrive, par mauvaise neige, au pont d'Arize. Il est ............ A partir d'ici, la neige est meilleure, et nous réussissons enfin à nous tenir sur nos planches. Nous devons déchausser au viaduc, et à 15h30 nous sommes chez BRAU. Le tramway tamponne des voitures, vers Canpan, et nous manquons le train de Tarbes. Sous la pluie, nous allons dire au-revoir à Monsieur et Madame DAUZERE. Nous trouvons une excellente chambre à l'hôtel Terminus, et le lendemain :

Dimanche 30 Décembre, nous rentrons à Saint-Gaudens. A 10h30, nous sommes à Mourlon, à 11h à la messe, et l'après-midi, nous allons, toute la famille, chez les COULON.

A skis : 21 – 24 Janvier 1929

A 11h du matin, nous partons de Saint-Gaudens avec nos skis. Elisabeth inaugure son complet d'homme, en cadis, qui lui va fort bien, et la protège mieux du froid et de la neige que la jupe, à laquelle elle a mis longtemps à renoncer. Déjeuner à Tarbes, à midi trente, où nous faisons de maigres provisions, plus une douzaine d'œufs, et des bananes pour les observateurs.

A Bagnères, nous avons juste le temps d'aller saluer Monsieur et Madame DAUZERE, et à 16h30, le tram, qui ne peut aller plus loin, à cause de la neige, nous dépose à Sainte-Marie-de-Campan. A pied, et à skis, nous gagnons Gripp à la nuit, après avoir croisé quelques rares indigènes et traineaux, c'est lugubre. Madame BRAU, complètement démunie, ne peut nous offrir que la soupe et du jambon frit. A 21h30 nous sommes au lit, où nous dormons fort mal, jusqu'à 3h.

A 4h, nous chaussons les skis devant l'auberge, au moment où la lune vient de se coucher. Lentement, sur neige un peu ferme, nous atteignons l'usine électrique, toute illuminée dans la nuit, Artigues, à peine distinct, et le dépôt du Pic.

De là jusqu'à Tramezaygues, et le col du mamelon d'Arize, la nuit sombre et la neige dure rendent difficile et pénible l'ascension. Il faut déchausser pour atteindre le col, où le point du jour nous éclaire. Nous arrivons au Pont d'Arize au moment où l'alpenglün flamboie sur le sommet du Pic. La température est presque aussi douce que le 28 Décembre dernier, et la neige un peu meilleure.

Le pont est laissé à gauche, et nous remontons la rive gauche de l'Adour sur bonne neige, nous fiant aux poteaux du téléphone, et aux traces assez indistinctes des ravitailleurs de la semaine dernière (vues, en particulier, les traces d'HUGON, qui a fait une descente exténuante de 8 heures). Enfin, on traverse l'Arize sur la neige, et on commence à s'élever sérieusement vers un couloir long et raide, qui doit nous amener à Pène Blanque (c'est à dire un peu au-dessus de la Roche Fendue). Le soleil nous surprend en train de progresser par petits lacets serrés dans le couloir. Un peu plus haut, nous atteignons une forte avalanche, où nous pouvons déchausser les skis, et finir la grimpette en marchant sur les mottes, et les « boules » de neige amoncelée.

A 10h, le couloir est gravi, soleil éclatant, température idéale, neige bonne. On s'engage aussitôt dans les gorges, à l'ombre du fier rocher de la Picarde.

A 11h, au tournant de la Coume, j'aperçois les fils du téléphone coupés, entre les 24° et 25° poteaux, qui sont accrochés aux flans de la crête de Sencours. Jusqu'à midi, je travaille à réparer avec du gros fil de fer galvanisé, que je prélève au poteau 24, où il sert de tendeur (N C a été téléphoniste sur les champs de bataille, pendant la guerre de 1914. Note de G C)

A midi on repart, nous n'avons presque pas mangé depuis 4h du matin, les forces faiblissent, et cependant le col de Sencours approche, et demande un fort coup de collier.

A partir du col, nous trouvons une neige lourde et mouillée, qui nous détermine à monter à skis. Lentement, nous dépassons la « Roche aux Crampons » où nous voyons une paire de skis plantés dans la neige. Puis nous faisons des lacets pénibles et dangereux sur des pentes de plus en plus redressées. De guerre lasse, car nous ne progressons que fort lentement, nous rejoignons le câble aux Roches Noires. Les skis et bâtons sont solidement arrimés à un poteau, nous nous encordons, et le calvaire commence.

Sans crampons sur la neige glacée, dans le brouillard et le froid qui surviennent, nous sommes vite épuisés. Au sommet des Roches Noires, Elisabeth a recours à la fiole d'alcool, et repart courageusement. Poteau par poteau, je m'élève lentement, et je hisse Elisabeth. C'est sûrement l'inanition qui est cause de notre fatigue. On essaie de compter les poteaux qui nous séparent du sommet. . Le temps se gâte, il n'y a aucun espoir que les observateurs nous aperçoivent et nous portent le thé traditionnel.

De temps en temps, des échappées vers le bas nous montrent cependant que nous sommes à une hauteur considérable. Les arrêts sont aussi pénibles que la marche, à cause du vent glacial. Enfin, la Roche du Midi est dépassée, nous sommes un peu abrités du vent. Cela se ressent aussi sur la neige, qui, de trop dure, devient molle. A 16h nous atteignons le dernier poteau et nous dirigeons vers le blockhaus. Je glisse sur les fondations de la tour, et heurte violemment avec la tête. La porte du blockhaus est fermée intérieurement, nous pénétrons dans la place par la porte du poulailler, pour surprendre DASTUGUE dans le couloir de l'Observatoire. DEVAUX accourt, ainsi que le cuisinier BENQUE. Tous sont stupéfaits, et agréablement surpris de notre visite. Les sacs tombent des épaules, on s'assoit près du poêle : Madame Norbert CASTERET vient de faire la première ascension hivernale (féminine) du Pic du Midi. L'ascension a duré 12 heures, dont une heure a été consacrée à la réparation du téléphone.

Le temps est nuageux, cependant, après le dîner, nous allons au blockhaus, pour voir le clair de lune. A la veillée, DEVAUX nous raconte sa découverte de la grotte de Gavarnie, et nous en montre des vues. A 21h30, nous nous couchons, dans la belle chambre de Monsieur DAUZERE. A minuit, le vent, la neige et le brouillard enveloppent le Pic. C'est le début d'une tourmente qui durera jusqu'au coucher du soleil du lendemain.

Après une nuit réparatrice, encore qu'agitée par la crainte du mauvais temps pour la descente, nous passons une journée agréable, en grande partie au bureau. Le baromètre baisse, le téléphone, quoique réparé, est muet. (Nous saurons, le lendemain, que c'est parce que BRAU a débranché). Je lis « 100 ans aux Pyrénées », je vais réparer l'anémomètre avec DEVAUX. Nous déblayons « la chambre des Députés », où la neige s'est engouffrée par une fenêtre ouverte. Visite de l'Observatoire. Repas. Thé. Au coucher du soleil, les nuages s'éclaircissant, le temps semble revenir au beau. Nous sortons un moment sur la terrasse

A 21h, clair de lune splendide, vue sur la Chaîne et la plaine. A 3h30 du matin, je me lève pour contempler les montagnes sous la lune. Je braque mon Kodak par la fenêtre ouverte, et je me rendors jusqu'à 5h15, pour fermer l'appareil et la fenêtre. A 7h, nous sommes au blockhaus pour assister au lever du soleil, puis, après le petit déjeuner, nous montons au sommet avec Devaux, et faisons une séance de photos sur la terrasse. DEVAUX bat le record avec 52 instantanés d'Elisabeth !

A 10h30, dûment encordés et couverts, car le brouillard et le vent règnent à nouveau, nous descendons le câble. Devaux ouvre la marche, Elisabeth suit, et je fais l'arrière-garde, tenant Elisabeth en laisse. Descente longue et délicate aux Roches Noires, car la neige est très dure, et personne n'a de crampons. On retrouve les skis, et on commence une série de descentes agréables, la neige étant subitement très propice (midi). DEVAUX, qui a recueilli ses skis à « la Roche aux Crampons », nous escorte jusqu'au col de Sencours, où ont lieu les adieux. La descente des gorges est un ravissement, et nous stoppons à 13h au jardin botanique de Pène Blanque, pour tirer une photo. Nous sommes toujours quelque peu dans les nuages. A flanc, nous allons descendre par l'itinéraire du sentier muletier, mais des avalanches descendues hier, nous déterminent à faire demi-tour et à remonter jusqu'à l'origine du « rapaillon », que nous descendons en partie sur l'avalanche remontée l'avant-veille.

A partir du bas d'Arize, nous constatons que la neige a beaucoup fondu. Les petits ravins, enneigés à la montée, sont maintenant dégarnis, et le versant de la rive droite balayé par de nombreuses avalanches. En aval du pont d'Arize, les avalanches ont obstrué le torrent, qui s'est creusé un pont dessous. La neige est gelée par endroits, rendant notre allure capricieuse et incertaine. Au-delà du mamelon d'Arize, nous glissons accroupis dans une zone accidentée, pour arriver à Tramezaygues en une glissade longue et rapide. Sur la petite passerelle, je tire la dernière photo au coucher du soleil

A 11h55, nous rejoignons la route au Dépôt, et dans une marche glissée accélérée, nous atteignons Gripp à 15h30 (5 heures à la descente). Là, après les félicitations émues du vieux « Jean de Gripp », qui a ravitaillé le Pic durant 32 ans, nous téléphonons à DASTUGUE, pour lui annoncer notre arrivée à bon port, à Monsieur DORE, et à Monsieur DAUZERE.

A 17h, le tram arrive à Gripp, après que Madame BRAU nous a servi une soupe et des œufs crus, et à 18h15 nous sommes à Bagnères, où Monsieur et Madame DAUZERE viennent nous voir à la descente du tram.

21h, Saint-Gaudens. Depuis Gripp, il pleut. Ici il neige presque, et nous arrivons à Mourlon, à pied, à 22H.

Séjour au Pic du Midi 12 Juin – 1er Juillet 1935

12 Juin. En auto, en famille, chez Monsieur DAUZERE. Puis à Artigues, où nous allons à la cascade de Garet. Au retour, on me dépose à Gripp, où je dîne et couche (Hôtel BRAU).

Réveil à 4h. Départ à 4h30, avec le porteur CAZEAU Ferdinand. Nous stoppons au Dépôt, à 5h05. A 5h50, nous passons le pont d'Arize. Halte casse-croûte à la cabane de la Roche Fendue, 6h40 – 7h15. La neige commence ici. Bas du câble à 8h. Observatoire 9h45 (5heures 15 à la montée). L'Observatoire est habité par CARMOUSE, 58 ans, et FOURCADE, 25 ans. Je vois la nouvelle route de l'hostellerie des Laquettes. Temps superbe, tour d'horizon, sommet du Pic. Je passe la journée à regarder le panorama, et à écrire mon second livre. Je prends les repas à la cuisine, avec le personnel, et j'occupe la chambre du Général de NANSOUTY. Coucher à 22h15. Il y a 3m10 de neige sur la terrasse.

14 Juin. Lever à 4h40. Lever du soleil (vu la tour d'Aussaing et la Montagne Noire). Ecritures, lecture, observations météorologiques tri-horaires. Flânerie sur la terrasse, à l'affût des vautours, travail, lecture.

A 18h, crête Nord du Pic avec FOURCADE, à la recherche de fulgurites. Temps nuageux, mer de brouillard à 2000m. A 22h, il neige. Vers minuit, chute de la foudre, à trois reprises, sur l'Observatoire. Le téléphone est grillé à 4 m de moi.

15 Juin. Brouillard et verglas toute la journée. Minima : -4, maxima : 0°. Travail au bureau (j'achève « l'Histoire d'une goutte d'eau ») Menace de rhume enrayée. Coucher 22h.

16 Juin. Lever 5h. Tour d'horizon, lever du soleil, mer de nuages, travail. A 9h15, arrivée des porteurs et du courrier (CAZEAU Théodore, et BROU Jean-Marie). Déjeuner à 11h. A 15h, départ des porteurs, avec FOURCADE, qui va essayer d'arranger le téléphone, coupé par la foudre. Mauvaise journée de travail. A 16h, je vais faire un tour sur la crête Est. Dîner avec CARMOUSE. Veillée jusqu'à 23h.

17 Juin. Lever 6h40. A 9h, FOURCADE apparaît à Sencours (avalanche sur le lac d'Oncet). Travail au bureau et observations. Montée au pylône de TSF (25 m). Coucher du soleil magnifique, au sommet du Pic. Coucher 23h.

18 Juin. Lever 6h30. Très beau temps, vu le bois de Mourlon à la longue-vue. A 9h30, arrivée du mécanicien de Luz, et de VIGNOLLE (le champion de ski de Barèges). Travail sur la terrasse Nord, montée au pylône, travail dedans. Splendide coucher de soleil. Coucher 22h30.

19 Juin. Lever 7h. Arrivée de Monsieur et Madame DULUC. Un avion passe au N. On entre chez GARRIGUE. Travail et bain de soleil. Debout sur le pylône. Partie habituelle avec la chienne Fifi. Déjeuner et dîner à la salle à manger. VIGNOLLE fait un peu de ski. Veillée, belote, coucher 22h15.

20 Juin. Lever 6h30. Flânerie terrasse. A 10h, départ de Monsieur et Madame DULUC. Montée de 6 touristes aux Laquettes. Pylône, debout. Après déjeuner, départ de VIGNOLLE et du mécanicien. L'électricité est réparée. Travail du manuscrit en plein soleil, sur la terrasse. Promenade avec le chien et le chat. Après dîner, avec CARMOUSE et FOURCADE, au Pic, pour le coucher du soleil. Coucher 22h30.

21 Juin. Lever 5h30. Terrasse. A 8h deux touristes en vue, que je prends pour Martial et Elisabeth. Je me précipite avec une bouteille de café chaud. Mais je me suis trompé ! Je remonte par le câble. Travail, terrasse, pylône. Après déjeuner, j'écris à la terrasse. Descente interminable du couple des Laquettes. Vu Mourlon. Coucher du soleil au sommet du Pic (le plus long jour de l'année).

A 21h30, vu deux phares de l'Océan, dont celui de Biarritz.

22 Juin. Lever 6h20. La neige fond beaucoup, même la nuit. A 8h30, trois touristes à Sencours, dont deux femmes nudistes ! Coup de soleil (migraine). Travail au bureau. Pylône. Lancement de roches jusqu'à la Coume du Pic. Visite à la « Villa Garrigue ». Bombardement avec roches. Les premiers moutons, venus du Tourmalet, apparaissent. Coucher 22h.

23 Juin. Lever 5h10. A 5h30, arrivée de deux Autrichiens, qui ont couché aux cabanes de Tramezaygues. Je hisse le drapeau au pylône (debout). Terrasse. Bureau. Affût aux vautours. Orage sur la Chaîne.

24 Juin. Je descends de bonne heure jusqu'à Pène Blanque, avec Fifi, pour attendre Elisabeth. Vers 8 h, je remonte par la crête Est, en cherchant des grottes. Passages délicats. Elisabeth ne viendra pas ce jour-là.

25 Juin. Vers 9h, arrivée d'Elisabeth avec CAZEAU Ferdinand, sous la pluie et le vent. Après déjeuner, départ de CAZEAU. Sommet du Pic (vent). Je descends le drapeau du pylône. Bibliothèque, et terrasse avec couvertures, tant il fait froid. Nous couchons dans la chambre de Monsieur DAUZERE, où il manque la fenêtre du Sud. Tempête de vent toute la nuit.

26 Juin. Terrasse, bibliothèque. FOURCADE descend. Je monte à la coupole, avec Elisabeth. Toujours grand vent, surtout la nuit, où il rugit dans la chambre.

27 Juin. FOURCADE arrive, à 9h du matin. Il repart à 13h, avec Elisabeth. A 15h05, en allant au blockhaus météorologique, je les vois un instant, descendre le Tourmalet en moto. Promenade à la crête Ouest, hôtel des Laquettes. Au retour je suis surpris par la pluie ; à peine rentré, violent orage, chutes de la foudre sur les paratonnerres, forte grêle. Dîner seul avec CARMOUSE. L'orage sévit maintenant sur la plaine, où j'observe sa marche.

28 Juin. 24 ouvriers viennent travailler à la route de Sencours. CARMOUSE descend à midi, je reste seul. A 19h, tandis que je suis au Pic, j'aperçois FOURCADE qui arrive péniblement, en poussant sa moto, à Sencours.

A 20h, FOURCADE arrive. A 21h, au Pic, vu les lueurs de Pau.

29 Juin. Deux touristes (homme et femme), tentent de monter au Pic, mais font demi-tour. Ils restent à Sencours et y couchent. A 22h, alors que nous sommes à la bibliothèque avec FOURCADE, CAZEAU Théodore fait irruption avec le ravitaillement.

20 Juin. De nombreux touristes viennent à Sencours, et plusieurs tentent l'ascension du Pic. Deux réussissent, mais une dame fait une chute terrible, et se blesse à la tête et au visage. FOURCADE descend à leur secours, avec de quoi faire un pansement. Monté plusieurs fois au Pic, et crête Nord. FOURCADE tire un chocard. A la nuit, nous faisons partir une fusée.

1er Juillet. Je pars à 6h du matin par les Laquettes, Sencours et le Tourmalet, que je descends dans le brouillard. Gripp à 10h, où je trouve GARRIGUE et DEVAUX. A 11h Elisabeth arrive en auto, avec Gilberte et Madame ARTIGUE. Déjeuner tous ensemble, et retour à Saint-Gaudens, avec arrêt chez Monsieur DAUZERE.

Très satisfait de mon séjour de 18 jours à 2860 m d'altitude, face à la chaîne enneigée, que j'ai admirée à toute heure. Heureux aussi d'avoir écrit les chapitres de mon second livre. Excellente impression de CARMOUSE et FOURCADE, charmants compagnons.

Article paru dans Match, entre 1935 et 1940 (peut-être), intitulé :

Dans les neiges éternelles : la vie de ceux qui observent au Pic du Midi

L'Observatoire du Pic du Midi de Bigorre, perché à 2860 m, est, de beaucoup, l'habitation la plus élevée de France.

Son altitude et sa situation exceptionnelles attirent, en été, de nombreux savants, d'innombrables touristes. Mais cette période d'activité est de courte durée : du 10 Juillet à la fin Septembre.

Alors, toutes les provisions (combustibles, vivres etc...), sont hâtivement montées à dos de mulet.

Théories de touristes et caravanes de mulets porteurs se croisent et se dépassent sur les flancs de la montagne ; mais dès la fin du mois de Septembre, les tourmentes de neige et de brouillard succèdent sans transition au bref été.

Le personnel de l'Observatoire se réduit alors à son effectif d'hiver : deux observateurs et un cuisinier qui mènent une existence des plus rudes, vivant neuf mois par an dans la neige, ou sous la neige.

Ces ermites de la science ne voient plus de visage humain que de loin en loin, quand de courageux et d'énergiques porteurs réussissent l'ascension à skis, chargés de quelques kilos de viande, de légumes frais et de lettres.

L'observatoire est pourvu du téléphone et de la T.S.F., mais à cette altitude, les avalanches continuelles, les tempêtes et les blizzards sont si violents, qu'aucune installation ne peut y résister, et les observateurs restent isolés du monde.

Observations météorologiques périodiques (toutes les trois heures), consultation de nombreux appareils occupent les heures. De plus, les observateurs se livrent à des recherches, des expériences et des études personnelles, qui occupent la monotonie de leur solitude.

La terrasse d' l'Observatoire mesure 100 m de long sur 25 m de large. Tout autour, c'est le vide des précipices. On ne conçoit pas que les habitants de ce nid d'aigle puissent être des sportifs à leur manière.

Le sport pratiqué au Pic du Midi est spécial, mais c'est l'un des plus rudes qui soient : la lutte continuelle contre l'ensevelissement sous la neige.

Bien que la terrasse de l'Observatoire soit exposée au vent presque perpétuel des cimes, la neige y atteint chaque année cinq à six mètres d'épaisseur. C'est contre cet ensevelissement qu'il faut lutter sans relâche, sous peine d'être emmuré, et de vivre dans l'obscurité permanente.

A la pioche et à la pelle, on entretient tant bien que mal de profondes tranchées en face des portes et des fenêtres ; mais vienne une tourmente de neige ou un coup de vent, aussitôt les tranchées se comblent, et le travail est à refaire.

Le tonneau des Danaïdes ne pouvait jamais se remplir ; ici ce sont les tranchées qu'on ne peut jamais vider ! Or, nous l'avons dit plus haut, l'essoufflement et la lassitude obligent à travailler au ralenti, et avec de fréquents repos.

Si les trois habitants de l'Observatoire n'étaient pas des athlètes, ils ne pourraient pas endurer les froids extraordinaires auxquels ils sont exposés, froids rendus intolérables par la violence du vent. Ils ne pourraient s'acclimater à l'altitude et à la raréfaction de l'air qui rend tout exercice pénible (là-haut, le thé n'est jamais réussi, l'eau bouillant à 92° !)

En outre il faut être doué d'une excellente santé et d'un organisme sans tare, pour s'accommoder des mois entiers d'une alimentation à base de conserves. Enfin, il faut être alpiniste et skieur consommé pour descendre du Pic et y remonter lors du congé.

Pour si paradoxal que cela puisse paraître, cet observatoire si élevé ressemble beaucoup à un navire. La terrasse, bordée d'un bastingage en a les dimensions et la forme ; deux pylônes de 25 m de haut simulent les mâts ; un blockhaus, la passerelle du commandant. Comme un navire, l'Observatoire est souvent perdu dans le brouillard ; souvent aussi, il émerge d'une mer de nuages, océan aérien grandiose.

A l'intérieur, la ressemblance s'accentue : couloirs étroits, escaliers en colimaçon, cabines et couchettes exigües, cabines de TSF, soute à charbon, cambuse, citerne à neige fondue, four à cuire le pain. Enfin, pour être complet, mentionnons le livre de bord où sont mentionnées les observations tri-horaires, les phénomènes atmosphériques, les incidents et évènements remarquables. Comme sur les navires, il y a toujours quelqu'un de quart, ce qui est particulièrement assujettissant quand on est deux !

A minuit, alors que tant de gens dorment, ou prennent paisiblement leur manteau aux vestiaires des théâtres ou des cinémas, l'observateur du Pic saute hors de sa couchette, parcourt le couloir souterrain qui communique avec le blockhaus sur lequel se trouvent, en plein vent, appareils et instruments. Dix mètres avant d'arriver à la porte, les murs et les marches de l'escalier sont tapissés de cristaux de givre. D'un coup d'épaule, souvent à l'aide de la fesse, l'observateur ouvre la porte ; lampe électrique à la main, il consulte les appareils, note les indications. Presque toujours, il faut gratter le manchon de glace qui recouvre les instruments. Ensuite, un tour d'horizon pour examiner l'état du ciel, la direction du vent ; l'observateur grelottant regagne sa cellule.

A trois heures, le réveille-matin sonne les matines : l'observateur, vrai cistercien de la science, enfile ses galoches, sa pelisse, va faire sa ronde, enregistre des températures arctiques, inconnues de l'homme des plaines.

Enfin, à six heures, alors que nous dormons tous encore, la porte du blockhaus s'ouvre. Sous la tempête de vent ou de neige, dans le froid noir ou la splendeur de nuits où scintillent les phares de Biarritz, ou celui de l'aérodrome de Toulouse, sous des clairs de lune magiques ou des aubes livides, l'ombre falote de l'observateur apparaît, va, vient, vire, se penche, repart. Obstinément, il fait son devoir, tous les jours, toutes les nuits, durant des mois et des années.

Conçue dès 1775 par le physicien DARCET, l'idée de cet observatoire fut reprise à diverses époques ; mais ce n'est qu'en 1881 que la construction en fut réalisée, grâce à l'initiative, au dévouement et à la ténacité des fondateurs : le général de NANSOUTY et l'ingénieur VAUSSENAT.

Le général de NANSOUTY vécut onze ans, hiver comme été, sur le Pic du Midi, dans des conditions très précaires et périlleuses ; quant à l'ingénieur VAUSSENAT, devenu directeur de l'Observatoire, il continua à s'y dépenser corps et âme, à tel point qu'il mourut à la tâche, en plein hiver de 1892. On n'eut que le temps de le descendre, sur une chaise à porteurs improvisée, au prix de mille difficultés, dans la neige épaisse. Il expira quelques jours après. De tels sacrifices ne pouvaient rester stériles.

Norbert CASTERET

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